Jacques CofardAuteurs et déclarations
26 juillet 2023
Paris, France – Structures intermédiaires entre la médecine générale et les services d’urgence surchargés, les centres de soins non programmés permettent la prise en charge de pathologies nécessitant un plateau technique (matériel de suture et d’immobilisation, biologie, imagerie médicale, médecine de spécialité).
Auditionné par le Sénat, Thomas Fatôme, directeur de l’assurance maladie, a mis en garde contre le développement anarchique de ce type de structures.
Dr Maeva Delaveau
Sans le savoir, il a trouvé une alliée en la personne du Dr Maeva Delaveau, présidente de la… Fédération des centres de soins non programmés (FFCSNP). Car pour elle, il existe deux sortes de centres de soins non programmés (CSNP) : ceux qui font de la petite urgence, et qu’elle représente, et ceux qui enchainent des consultations de médecine générale, qu’elle ne reconnait pas. Entretien.
Medscape édition française : Quelles sont les grandes différences entre les centres de soins non programmés et les autres exercices coordonnées (maisons de soins pluriprofessionnelles, maisons médicales, centres de santé…) ?
Dr Maeva Delaveau : La différence tient dans les types de patients pris en charge : les nôtres nécessitent une prise en charge urgente, sans pour autant avoir besoin d’une prise en charge avec un plateau technique. Typiquement, ce peut être un patient qui aura besoin d’une radio, d’une suture, d’une perfusion d’antalgie, etc. Ce sont des patients qui peuvent avoir des douleurs abdominales, une colique néphrétique, une crise d’asthme, une fracture, une réaction allergique… Nous essayons de définir les CSNP en fonction de ce type de patients. Il faut savoir que jusqu’à présent, ces centres n’ont pas de définition établie. Les CSNP de notre territoire travaillent en partenariat avec les médecins de nos territoires, dans les CPTS, qui nous envoient des patients pour des suspicions de phlébite, pneumopathie, suspicion de fracture, etc. Ce sont des prises en charge que les médecins généralistes, pour la plupart, n’assurent pas, mais qui, pour autant, ne nécessitent pas de séjour hospitalier. Malgré tout, si c’est nécessaire, nous pouvons transférer nos patients vers un hôpital, et cela représente entre 1 et 3% de nos patients. Nous sommes vraiment le chaînon entre la médecine générale et le service d’urgence classique.
Nous sommes vraiment le chaînon entre la médecine générale et le service d’urgence classique.
Depuis combien de temps ces CSNP existent-ils ?
Dr Delaveau : Nous avons créé notre fédération l’été dernier, mais il existait des CSNP dans notre département, les Bouches du Rhône (13), depuis au moins quinze ans ; on observe une augmentation du nombre des CSNP depuis cinq ans.
Combien y a-t-il de centres de soins non programmés ?
Dr Delaveau : Dans notre fédération, nous comptons une cinquantaine de membres mais nous pensons, selon nos estimations, qu’il doit y en avoir au moins 200. Il semblerait qu’il y en ait plus sur tout le quart Sud-Est de la France, il y en a quelques-uns en Bretagne, et très peu dans le Sud-Ouest.
Ce sont des médecins urgentistes qui y exercent ?
Dr Delaveau : Ce sont à la fois des médecins urgentistes, mais aussi des médecins généralistes qui savent prendre en charge les petites urgences.
Pourquoi avoir créé votre fédération ?
Dr Delaveau : Nous avons créé cette fédération car nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une dérive des CSNP, du fait d’une absence de définition, de normes, etc. Tout médecin qui prend des patients sans rendez-vous peut se targuer de faire du soin non programmé, et il y a pléthore de centres de soins aux horaires élargis qui font de la consultation simple, au détriment de la médecine générale. Mais ce ne sont pas des centres de soins non programmés.
Il y a pléthore de centres de soins aux horaires élargis qui font de la consultation simple, au détriment de la médecine générale.
Avez-vous des horaires atypiques ?
Dr Delaveau : Cela dépend vraiment des territoires, il y a des centres qui sont ouverts 7 jours sur 7, d’autres sont ouverts tard le soir. Moi, par exemple, j’ouvre de 9 heures à 19 heures, mais 7 jours sur 7. D’autres centres sont ouverts en zone de montagne, donc de manière saisonnière. D’autres encore, situés dans des zones rurales, ouvrent une partie de la semaine à un endroit et une autre partie de la semaine à un autre endroit. Chaque centre s’organise en fonction des besoins des territoires et en fonction aussi des ressources humaines disponibles.
Quelle sont les autres professionnels de santé ou spécialités présentes dans vos centres ?
Dr Delaveau : Il y des infirmières car nos patients ont besoin de bilans, parfois de perfusions. Certains centres arrivent à fonctionner sans infirmier, mais la plupart des centres emploient des infirmiers, même si l’équilibre est difficile à trouver car ce sont des infirmiers libéraux qui auront un nombre d’actes limités par rapport à un infirmier libéral en tournée. C’est un exercice particulier.
Vos professionnels de santé travaillent dans vos centres à plein temps ?
Dr Delaveau : Les deux tiers de nos médecins sont des urgentistes hospitaliers qui ont une activité mixte. Certains médecins n’ont qu’une activité libérale, et pour ce qui est des infirmiers, ce sont des libéraux qui cumulent leurs tournées, avec leur activité dans les CSNP. Parfois, ils peuvent avoir une activité exclusive en centres de soins non programmés, cela dépend vraiment de chaque territoire.
Quel est le modèle économique ?
Dr Delaveau : Nous sommes financés uniquement avec les cotations réglementées par l’assurance maladie. Nous sommes en secteur 1 et nous appliquons le tarif des actes de la convention, NGAP et CCAM, et les infirmiers font de même, ils appliquent les tarifs de leur convention.
Thomas Fatôme a exprimé ses réticences devant le Sénat quant au développement des CSNP, arguant du fait que ces centres faisaient en sorte d’oblitérer l’installation de médecins traitants, qu’en pensez-vous ?
Dr Delaveau : Nous sommes tout à fait en accord avec cet avis, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons créé la fédération. Car en l’absence de label certifié centres de soins non programmés, tout le monde peut se revendiquer d’en être un. Il y a des centaines de centres qui ouvrent et font de la consultation sans rendez-vous, à la chaine, ne prennent pas en charge de patients en tant que médecins traitants, et ne s’installent pas. Ce ne sont pas des centres de soins non programmés, tel que nous l’entendons. Les CSNP de la fédération s’appuient sur une charte, ne prennent en charge qu’un certain type de patients comme je vous l’ai expliqué.
Les CSNP de la fédération s’appuient sur une charte, ne prennent en charge qu’un certain type de patients.
Selon vous, pourquoi ouvrir ces cabinets de consultation à horaire élargi, différent des centres de soins non programmés, même s’ils ont la même dénomination ?
Dr Delaveau : Il faut leur poser la question ! J’imagine qu’ils y voient un intérêt en termes de liberté d’exercice et de rémunération. Nous ne sommes pas du tout sur les mêmes volumes de patients ni sur le même type de prise en charge. Nos patients peuvent rester deux ou trois heures dans nos centres. Pour être un centre de soins non programmés, il faut au moins disposer de trois ou quatre boxes afin de pouvoir prendre en charge des patients de manière concomitante tout le temps du soin. Pour une lombalgie, notre patient peut rester en moyenne deux heures, pour un patient en crise d’asthme, c’est pareil, nous allons lui administrer des aérosols et attendre qu’ils fassent effet, etc. Nos prises en charge et celles de ceux qui font des consultations sans rendez-vous dans des cabinets de médecine n’ont rien à voir, que ce soit en termes de volume de patients, d’utilisation de plateaux techniques… Du coup, les charges ne sont pas du tout les mêmes, et les honoraires non plus. Les médecins qui font de la consultation à la chaine vont voir beaucoup de patients, mais sur beaucoup moins de journées, cela génère un effet pervers, à la fois sur la démographie médicale et sur la consommation de soins que l’on offre aux patients.
Vous vous êtes entretenue avec Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée des professions de santé, qu’en ressort-il ?
Dr Delaveau : C’était la troisième entrevue avec le ministère mais c’est la première rencontre avec la ministre. Nous avions déjà rencontré ses conseillers au mois de décembre. Ils ont conscience qu’il est important de normer les centres de soins non programmés, nous insistons sur le fait qu’il nous faut une labellisation pour avoir une offre de soins et un parcours de soins qui soient bien identifiés. Nous essayons au sein de nos territoires d’organiser des filières de soins, de faire en sorte que les médecins puissent adresser des patients vers des CSNP plutôt que les urgences. Nous avons eu l’impression qu’il a semblé important au ministère de commencer à réfléchir sérieusement à cette labellisation. Je pense que nous partageons les mêmes valeurs.
Nous insistons sur le fait qu’il nous faut une labellisation pour avoir une offre de soins et un parcours de soins qui soient bien identifiés.
On imagine que vos centres ont toute leur place dans le cadre du service d’accès aux soins (SAS) ?
Dr Delaveau : Pour ma part, j’ai beaucoup travaillé sur les SAS, mais je ne suis pas la seule, presque tous les centres de soins non programmés ont participé aux groupes de travail de nos départements. Le SAS est conçu pour des prises en charge sous 48 heures, l’aide médicale urgente est destinée aux patients urgents, et, effectivement, tout le monde se rend bien compte que dans ce schéma, il n’y a pas de place bien identifiée pour tous les patients qui nécessitent des examens en urgence, mais sans pour autant passer par l’hôpital. C’est le créneau sur lequel nous sommes installés : la cinquantaine de centres de la fédération réalise 870 000 actes par an. Il va falloir à un moment mettre en place un schéma qui intègre correctement les différents acteurs.
Il va falloir à un moment mettre en place un schéma qui intègre correctement les différents acteurs.